J'avais oublié ce que ça faisait, d'être en vacances. Bon, je n'estime pas que je me la coule douce non plus, j'en serais bien incapable, mais c'est vrai que mon rythme de vie avait drastiquement changé dès l'instant où j'avais accepté de devenir professeur d'étude des moldus à Poudlard. C'est là que j'ai appris que mon temps pouvait être compartimenté, et que je l'utilisais bien mal jusqu'alors. Quelque part, c'était agréable, parce qu'un rythme à ce point soutenu me faisait finalement le plus grand bien, vraiment, d'un autre, c'était frustrant, parce que j'avais l'impression de ne plus pouvoir me focaliser assez sur mes actions activistes. Mais ça y est, l'occasion m'est donnée de me rattraper. Pendant deux mois, jje vais pouvoir reprendre à fond les choses en mains. Bon, j'aurais bien mes cours à préparer pour la rentrée, mais rien qui ne doive accaparer tout mon temps non plus. Et j'en profite.

Depuis l'épisode de la place du Buckingham Palace, je n'ai plus eu l'occasion de faire quoi que ce soit de significatif. Bon, c'était un peu de mon propre chef, je l'admets. C'est miraculeux que je n'ai pas été inculpée pour ça. Mais je pense savoir pourquoi, cela dit, je n'ai laissé aucune trace derrière moi. Je sais qu'on me soupçonne très largement, mais à force, je deviens experte, et j'arrive de mieux en mieux à effacer les indices de mon passage. Tant mieux, hein, parce que je ne suis pas très pressée de me retrouver de nouveau nez à nez avec les détraqueurs, même si je sais bien que ça viendra forcément... Pas que je le veuille, mais ça m'a l'air assez inévitable.

J'ai passé la matinée à potasser de nouveaux projets. Rien que des esquisses, et j'en suis pas totalement fière, mais j'ai quand même l'impression que ça commence à ressembler à quelque chose, et ça ça me plaît bien. J'aurais bien continué, mais j'ai promis de retrouver Glynnis, et j'ai pas envie de lui faire faux bond. Avec son boulot de dingue, on n'a pas suffisamment l'occasion de se voir, toutes les deux, alors vous pensez bien que j'ai surtout pas envie de gâcher une occasion quand elle se présente. Je frappe donc à sa porte à l'heure où elle m'a dit de me pointer, ou peut-être un tout petit peu après. Et quand elle m'ouvre, je lui saute dans les bras avec un large sourire aux lèvres.

-Enfin j'arrive à te voir ! Je te jure, t'es un vrai courant d'air. Comment tu vas ? Comment ça s'est passé, ce championnat ?

Je ne suis pas surprise d'entendre que le championnat a été épuisant pour Glynnis. Tu m'étonnes, qu'il l'a été. C'est quand même normal, faut dire ce qui est, elle a un boulot chronophage, épuisant, et qui vous met à la retraite avant l'âge. Je sais ce que c'est que de vivre à un rythme très intense, surtout ces derniers temps, mais je sais que mon amie n'a rien à m'envier de ce point de vue-là... ou tout à m'envier, bien au contraire, car j'ai bien plus souvent qu'elle l'occasion de me poser et de me reposer... Mais bon, malgré tout ça, je sais qu'elle se donne à fond, et qu'elle aime ça. Et je suis heureuse d'apprendre que les Harpies ont remporté la grande majorité de leurs matches. Le Quidditch comme n'importe quel sport ne m'a jamais trop intéressé... l'intérêt réel que je trouve aux manifestations sportives, c'est le fait qu'elles rassemblent un maximium de personnes au même endroit... prétexte idéal à un coup d'éclat activiste, donc. Mais le plus souvent, c'est côté moldus que j'organise ce genre d'"événements", sans surprise. Enfin, elle est de retour, elle a l'air en pleine forme et je suis heureuse de la voir, c'est ce qui compte, après tout.

-C'est la grande forme, je réponds avec un sourire. J'avais oublié la sensation que ça fait d'avoir de vraies vacances. Du coup, je me remets au boulot. Je sais que ça doit être assez contradictoire à entendre, mais je sais aussi que Glynnis comprendra où je vais en venir. Je suis sur un gros coup, je t'expliquerais. Ou plutôt, je lui expliquerai quand ce sera fait. Je ne voudrais pas qu'on l'accuse de complicité sous prétexte qu'elle a prêté l'oreille à ce que j'ai dit. Et je sais que puisque le ministère m'a dans le colimateur, mes proches, forcément, ne sont pas épargnés. Et... j'ai rencontré quelqu'un, j'ose également lui dire, presque mal à l'aise d'en parler.

Pourtant, avec tout ce que Glynnis m'a confié sur sa propre vie sentimentale, si quelqu'un a bien le droit de savoir les émotions qui traversent mon petit coeur, c'est bien elle.

La réaction de Glynnis m'amuse et m'intimide dans le même temps. Il y a des gens pour qui c'est facile de se livrer, de parler à coeur ouvert, qui évoque leurs relations sentimentales comme elles vous raconteraient qu'elles ont acheté du pain le matin même. Ce n'est pas mon cas. Je suis expansive et bavarde sur plein de sujets, mais quand il est question de mes sentiments amoureux (enfin, on n'en est pas encore là, mais on m'aura compris), je suis incapable de ne pas faire preuve d'une pudeur souvent déplacée. Pour cette raison, je parle rarement de mes flirts ou histoires sans lendemain. Pourtant, j'ai vraiment envie de parler d'Ignatius. Ce qui est d'autant plus bizarre qu'il ne se passe rien entre nous... Et peut-être qu'il ne se passera jamais rien, d'ailleurs, même si j'aime à penser que l'attirance est réciproque.

Mais j'ai envie d'en parler, parce que j'arrête pas de penser à lui, et que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu un tel coup de coeur pour quelqu'un. Je garde mes priorités, bien sûr, et je resterai toujours fidèle à mes démarches activistes avant tout le reste. Mais pour une fois, j'ai envie de penser un peu à moi. Et je crois que je le peux vraiment, que c'est réellement possible. Alors forcément, quand une amie à qui je dis presque tout et qui surtout me dit vraiment tout en retour veut des précisions, je me dis que je n'ai pas le choix, je dois passer aux aveux. Et je veux passer aux aveux. Il y a pire comme effort, en même temps, je le sais bien.

-Eh bien... On est pas... vraiment ensemble mais, il me plaît beaucoup, tu vois, et ça faisait longtemps que je m'étais pas senti aussi bien avec quelqu'un. Avec lui il y a jamais de temps mort, et il est brillant, vraiment très intelligent... Je m'emballe, je m'emballe. C'est clair qu'il me plaît un peu trop. Il s'appelle Ignatius.

Je ne précise pas son nom de famille, pas tout de suite. Je n'ai pas franchement envie de devoir justifier le fait d'avoir abordé le fils de la ministre à des fins qui n'avaient rien de romantiques.

Je me rends compte que j'accapare la conversation, et je m'en veux un peu. Ce n'était pas mon but. Je suis bavarde de nature, surtout quand je parle de la cause que je défends et au sujet de laquelle je suis intarissable. Mais là, ce n'est pas de ma cause que je parle. Avec Glynnis, j'ai toujours eu le sentiment de pouvoir parlé de tout, peut-être parce qu'elle s'est dévoilée à moi, à coeur ouvert, et sans rien omettre. Alors en retour, je crois que je lui dois bien la même chose, en effet. Mais justement, comme je suis la seule à qui Glynnis peut se confier, comme je sais qu'elle compte là-dessus, je m'en veux tout de même de rabattre la couverture sur moi.

Surtout que si c'est simple d'expliquer de toutes les manières possibles et imaginables pourquoi lever le secret magique international est une nécessité, c'est toujours plus difficile de parler de moi et de mes sentiments. Glynnis est la première à qui je parle si directement d'Ignatius, et peut-être bien que ce sera la dernière aussi. Et je sais à peine comment m'y prendre. Heureusement, mon amie n'a pas l'air de me reprocher mon comportement, au contraire, elle l'encourage, et semble réellement intéressée. Elle me demande le nom complet d'Ignatius. Elle a raison de le faire... parce que, en effet, il y a à vrai dire de très bonnes chances pour qu'elle le connaisse bel et bien, si ce n'est personnellement (là j'en doute un peu plus), au moins de réputation.

-Oui, y a des chances que tu le connaisses, je réponds alors, d'une voix un peu moins bien assurée que d'ordinaire, mise à mal par un certain embarras. Ignatius Tuft... c'est... hum... le fils de Wilhelmina Tuft.

Et elle, évidemment, Glynnis la connaît. Qui ne connaît pas la ministre de la Magie elle-même, en même temps ? Il est évident que son identité ne peut être inconnue à mon interlocutrie. Et comme elle me connaît, j'ai peur qu'elle en tire d'office les conclusions qui s'imposent effectivement. Les raisons qui m'ont rapprochée de lui pour commencer, et dont je ne suis pas très fière, honnêtement.

Je ne peux pas passer à côté de la surprise que mon amie affiche quand elle répète le nom d'Ignatius Tuft. Ce n'est pas quelque chose que je prends mal. Après tout, elle a raison, sur le papier, c'est une association de noms assez singulière, on est bien d'accord. Moi-même j'étais bien loin de m'imaginer que les choses allaient se passer de cette manière entre nous, ce n'est absolument pas ce que j'avais planifié, d'ailleurs. Mais c'est comme ça. Il y a un truc chez lui qui me touche et qui m'attire. Non, je ne vais pas reprocher sa surprise à Glynnis. Je n'imagine pas la tête que j'ai tirée, moi, quand j'ai découvert qu'elle était attirée par les filles (et, pire encore, par Gwendolyn Morgan... elle mérite tellement mieux que ça).

L'essentiel, c'est qu'elle a beau être étonnée, elle ne me juge pas une seule seconde, et elle demande plus de précisions, comme on a l'habitude de le faire entre amis. C'est étrange de parler comme ça d'Ignatius à Glynnis, ça rend les choses très concrètes (même si je sais pertinemment qu'il n'y a rien entre nous à l'heure actuelle... mais j'aimerais vraiment que ça évolue, et je crois que ça peut évoluer). Ceci dit, au moment de parler de notre rencontre, je me sens un peu mal, parce que ça ne va très clairement pas me donner le beau rôle. Mais la sincérité prime entre moi et Glynnis. C'est même l'un des fondamentaux de notre amitié.

-Ben... honnêtement... Je l'ai abordé parce que je l'avais reconnu. Je me suis dit que je pourrais peut-être... le rallier à ma cause... et en parler à sa mère, tu vois.

Le malaise est palpable dans ma voix. Pourtant, je suis du genre à assumer tout ce que je dis et tout ce que je fais. Mais là, j'admets quand même que c'est pas facile du tout. Parce que là, j'ai vraiment pas de quoi être fier.

-Mais on a beaucoup parlé et... c'est un gars super intéressant, et touchant, à sa manière. Et puis, bon... il est quand même sacrément mignon.

Je me sens étrange, à me confier comme ça aussi librement sur ce que je ressens. Je suis toujours la première à l'ouvrir (à l'exaspération générale) quand il est question de clamer haut et fort mon opinion et mes choix. Mais quand il est question de me lancer dans un laïus sur ma vie sentimentale, je reconnais quand même que d'un coup, y a nettement moins de monde. Mais Glynnis mérite bien mon honnêteté. Surtout qu'elle-même s'est confiée à moi, c'est logique que je lui rende la pareille.

En plus, j'aime bien parler d'Ignatius, c'est juste que j'ai peur de m'emballer et d'être déçue au bout du compte. Faut pas se leurrer, après tout, je fais quand même des plans sur la comète, et si ça se trouve, Ignatius n'est pas vraiment intéressé et je me fais des films. J'ai quand même peur de tomber de haut, avec toute cette histoire. J'ai l'habitude d'avoir quand même le contrôle, ou en tout cas d'être totalement maîtresse de mes actes et de mes décisions. C'est plus simple d'en assumer les conséquences, alors. Mais dans une relation sentimentale, ce n'est pas la même chose, je ne suis pas toute seule, il y a une part d'incertitude que je ne contrôle pas... C'est vrai que ça me perturbe un peu.

-Je sais pas trop, je réponds, légèrement embarrassée, quand mon amie me demande ce que nous attendons Ignatius et moi.

Eh bien, j'attends de savoir si c'est réciproque, je lui tends des perches quand je le peux, je lui témoigne mon intérêt. Malgré tout, et même si je me considère féministe et attentive au progrès, mais j'avoue que ça m'arrangerait que ce soit lui qui fasse le premier pas. Peut-être parce que malgré moi, je suppose que c'est le rôle de l'homme de faire ça... ou juste parce que j'ai trop peur de me lancer et d'essuyer un refus monumental.

-J'ai peur d'être à côté de la plaque, j'admets finalement. Je sais, c'est pas dans mes habitudes.

Je parle sur le ton de l'humour. Il ne sert à rien de se stresser pour ça non plus.

Je pourrais me braquer et prendre la mouche en entendant Glynnis affirmer qu'elle ne me reconnaît pas, mais je ne vais pas lui en vouloir de faire un constat que j'ai pu faire moi-même de mon côté. Moi aussi je ne me reconnais pas. Mais pour une fois, dans ma vie, ça ne me dérange pas de ne pas être totalement moi-même. Cela me dérangerait si je trahissais ma propre nature, ce faisant.

Mais ce n'est pas la question du tout. Cela ne change pas qui je suis ou quoi que ce soit. Je crois juste que ça ajoute un autre aspect à ma personnalité. Je ne pense pas qu'être militant a jamais empêché d'être amoureux. En revanche, je pense que la cause que l'on défend doit toujours passer en priorité, parce qu'un sentiment individuel ne vaudra jamais un engagement communautaire. Alors soit, je veux bien avoir changé, tant que mes convictions les plus profondes et mes engagements les plus forts n'auront pas, de leur côté, bougé d'un cil.

En tout cas, pour le coup, Glynnis est la voix de la sagesse. Même si je me sens maladroite et mal à l'aise à l'heure actuelle, je sais bien que si je veux être au clair avec cette relation, il faut aussi que je sois au clair avec moi-même en toutes circonstances. Peu importe si je me fais rejeter. Depuis quand est-ce que j'ai peur du rejet des autres, après tout. J'ai toujours agi et fonctionné de cette façon-là, personnellement. Et il y a peu de raisons pour que ça change, en aucune manière. Et puis, Ignatius est quelqu'un de bien. Même s'il doit ne pas être intéressé, jamais il ne serait du genre à m'humilier ou quoi que ce soit. Ce n'est vraiment pas dans sa nature.

-Ouais, je crois bien que t'as raison. Elle afficha un léger sourire. En même temps, t'es la voix de la sagesse, c'est pas nouveau. Mais on parle un peu trop de moi, tu ne crois pas ?

Je n'ai aucune envie de monopoliser l'attention, surtout sur un sujet à ce point personnel, pour tout dire. Et je pense qu'elle peut le comprendre.

La réponse de Glynnis est forcément assez attendue et prévisible. On est différentes sur pas mal de points toutes les deux, mais on a quand même en commun cette même pudeur quand il s'agit de parler de nous-mêmes... Pourtant, même si on est réticentes à le faire, quand on accepte de se livrer, on ne le regrette pas, ça nous rassure et ça nous fait du bien.

Donc vraiment, je m'y attendais, à celle-là, mais ce n'est pas parce que Glynnis est capable de trouver de l'intérêt à ma petite vie que je dois faire preuve d'égoïsme en lui donnant matière à discussion. Et puis, on a pas tant d'occasions de se voir, entre ses matchs à elle et mes opérations activistes à moi, donc forcément, faut admettre que les choses se passent comme ça à un moment ou à un autre. En tout cas, je ne compte pas m'épancher sur mon propre sujet, alors je rebondis sur ce qu'elle affirme en quelques secondes seulement.

-Exactement, de toi, ce serait vraiment une excellente idée, je lui assure avec un grand sourire et sans oublier de bien lui faire comprendre que je ne compte pas prendre le sujet à la plaisanterie.

Glynnis est une fille très secrète. Je pense que très peu de gens la connaissent aussi bien que moi, et donc, j'estime que c'est un droit et un devoir amical que de m'intéresser à son sort. Même si je ne suis pas forcément la meilleure amie du monde, je compte bien faire ce qu'il faut pour être celle dont Glynnis a besoin, en agissant du mieux possible.

-T'as peut-être de nouvelles choses à me dire depuis la dernière fois ? Comment ça se passe avec... tu sais...

Elle saura. Je devrais peut-être parler franchement, en temps normal je ne m'en prive pas. Il n'y a qu'elle et moi ici, après tout. Et pourtant, je fais malgré tout des manières. Je fais ce que je peux pour la rassurer et ne pas la mettre mal à l'aise en fait. Je sais qu'elle ne devrait avoir aucune raison d'avoir honte. Mais c'est à inscrire sur la liste des nombreuses choses qui devraient changer dans notre société.

Comment est-ce que je veux que ça se passe ? Eh bien... bien, évidemment... Je sais bien que vu la nature... particulière des sentiments de Glynnis pour sa coéquipière, dans tous les cas, la jeune femme serait jugée pour ça, mais ce serait tout de même plus simple pour elle, je pense, si leurs sentiments pouvaient être réciproques. Elles devraient toujours s'en cacher, évidemment, mais du moins auraient-elles la possibilité de partager ce secret ensemble, et je devine qu'il serait moins lourd, dès lors... mais bien sûr, ce n'est pas si simple, les relations humaines, et amoureuses encore plus, ne sont jamais si simples, et je sais que je m'en tire bien, à titre personnel, avec mon béguin pour le fils de la ministre. Qui sait s'il va aboutir, mais si ça devait être le cas, la société ne se permettrait pas d'y mettre son grain de sel et de décider quoi en penser.

Elle me parle plus longuement de Gwendolyn, et je ne suis malheureusement pas surprise d'entendre ce qu'elle m'en dit. Je déteste Gwendolyn Morgan, et ce n'est pas sans raison. Je la trouve terriblement... insupportable, vulgaire, violente, tout ce que Glynnis n'est pas. Je ne comprendrais jamais pourquoi, de toutes ses partenaires sportives, il a fallu que ce soit elle qui capte son attention et captive son coeur. Mais bon, les sentiments, ça ne se commande pas, il paraît.

-Je ne sais pas non plus, je réponds avec un fin sourire. Je prononce ces mots avec une sincère bienveillance. Je respecte entièrement Glynnis et ses inclinations, et je ne lui suggèrerais jamais de devenir une autre, mais... Gwendolyn Morgan, quoi ! Peut-on imaginer pire choix que celui-là ? Personnellement, j'en vois vraiment aucun... Cette fille te mérite pas du tout, tu sais, tu vaux mieux que ça.

Elle sait déjà ce que j'en pense, et je ne pense pas que c'est en le lui répétant que ça va y changer quoi que ce soit, mais ce n'est pas grave, je me permets quand même de le lui répéter. J'espère qu'elle aura un jour un déclic, qu'elle trouvera chaussure à ses pieds... Si quelqu'un en ce bas monde mérite d'aimer et d'être aimée en retour, c'est bien Glynnis.

Je sais qu'il est facile de dire à une personne amoureuse qu'elle ne mérite pas celle qui fait l'objet de ses sentiments, j'en ai entièrement conscience, croyez-le bien. Je sais pertinemment que les choses ne fonctionnent pas comme ça, que les sentiments ne se contrôlent pas, que c'est une affaire de raison bien plus que de coeur. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de vouloir raisonner mon interlocutrice. Je n'ai pas envie qu'elle se fasse du mal. Et elle s'en fait déjà. Elle fonce droit dans un mur à une vitesse hallucinante, et rien n'est là pour amortir le choc, pas plus mes avertissements que les attaques répétées et gratuites de Gwendolyn Morgan à son encontre. Cette femme est un véritable démon, et Carlotta l'accepte comme si un tel comportement pouvait véritablement être assimilé à quelque chose de normal (spoiler : ce n'est pas le cas. Au contraire, c'est tout bonnement malsain, juste malsain).

Elle n'y peut rien, elle n'arrive pas à passer à autre chose. Ca me fait chier de la voir comme ça, mais qui suis-je pour la juger ou la secouer les puces. Dans le genre incapable de freiner mes ambitions et mes obsesssions, je me pose là, et on a beau m'opposer tous les arguments du monde, je n'en démordrais pas. Bon, d'accord, la différence entre ma cause et les sentiments de Glynnis pour Morgan, c'est que je crois vraiment que ma cause peut aboutir, et qu'elle mérite d'aboutir. Je sais que Glynnis, elle, pense autrement.

-Attends, tu déconnes, là ?

Je manque avaler de travers quand elle me parle tout à coup de Terrence Fern, qui selon ses dires n'aurait pas voulu d'elle. Encore lui. Elle est pas sérieuse, quand même ? Ce gars a le don de tourner autour de mon entourage comme un prédateur autour de sa proie... D'abord Will, maintenant Glynnis. Quand bien même ça n'a aucun sens. Pourquoi Glynnis s'amuserait à faire du gringue à Fern ? Et pourquoi Fern refuserait, surtout ? ça me dépasse totalement. J'ai l'impression d'avoir manqué un milliard de chapitres tout à coup. J'ai bien l'intention de rattraper le coup.

Il y a des choses, comme ça, qu'on n'a envie de visualiser sous aucun prétexte. Terrence et Glynnis en train de fricotter ensemble fait clairement partie de ces images que je n'aurais jamais voulu me figurer. alors, bon, au moins il ne s'est rien passé, mais quand même... si je ne pense pas que Glynnis et Gwendolyn seraient capables de former un jour un couple idéal, ou même un couple tout court, je suis vraiment incapable de m'imaginer le tombeur professionnel attraper dans ses filets l'innocente Glynnis. Rien que l'idée me donne des frissons de dégoût. C'est quoi, le problème de ce type ? Pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il tourne autour de mes amies ? La prochaine fois, je vais apprendre qu'il aura fait du gringue à April, tant qu'on y est...

D'accord, pour le coup, c'est elle qui a fait le pas vers lui, mais ce n'est certainement pas parce qu'il a été dans un mauvais jour et à refusé les avances de Glynnis que je vais lui dérouler le tapis rouge. Je ne peux m'empêcher de hocher vivement la tête quand j'entends mon amie me dire que, pour sa défense, elle était desespérée. J'espère bien, oui, qu'elle l'était. Parce que dans le cas contraire... Elle n'aurait vraiment aucune excuse. Je ne veux pas la blâmer, et je peux comprendre qu'elle soit frustrée, et je comprends même qu'elle ait juse eu envie de se sentir aimée, tout simplement. Mais elle mérite tellement mieux que ça ! Et j'ai l'impression que je ne serais jamais capable de complètement le lui prouver.

-Eh bien c'est la seule bonne décision qu'il aura jamais prise de sa vie. J'esquisse un sourire. Mieux vaut ne pas en faire un drame malgré tout. C'est même une anecdote assez marrante, par certains aspects, même si pour le moment, je ris un peu jeune. Je me répète, mais tu mérites cent fois mieux que ça. La prochaine fois que tu te sentiras désespérée, frappe à ma porte, ce sera mieux. Encore qu'en venant chez moi, tu risques de tomber sur Fern quand même...

Je ne veux pas embarrasser mon amie plus que nécessaire. Oui, je suis contente que Terrence Fern l'ait rembarrée, oui, je suis rassurée qu'elle ne soit pas tombée dans ce genre de pièges qui l'auraient évidemment fait se sentir plus mal qu'elle ne l'était déjà pour commencer, et j'apprécie qu'elle m'ait parlé de ça, parce que je sais très bien que ça n'a pas dû être facile du tout pour elle, loin de là. Mais maintenant que tout est dit, insister davantage me paraîtrait inconvenant.

Donc même si on ne change pas complètement de sujet, je suis contente d'avoir réussi à le faire dévier un peu, même s'il n'est pas dit que ça suffise à Glynnis. Le simple fait que nous continuions à parler de Fern est peut-être de trop pour elle. Même si je n'ai pas le sentiment qu'elle se force, je crois que sa curiosité est sincère, et j'ajouterais bien qu'elle est logique et légitime. Car à sa place, je me poserais un milliard de questions, et je ne me lâcherais pas tant que je n'aurais pas eu de réponse. Mais bon... moi c'est moi et... elle c'est elle. Profond, je sais.

-Ouais, il tourne autour de ma coloc... et le pire, c'est qu'elle le laisse faire.

Je devrais peut-être, à ce stade, dire les chose comme elles sont, à savoir que Will et Terrence sont ensemble. Mais il n'en est pas question, je ne suis pas capable de mettre ce genre de mots sur une relation que j'estime toxique. Pour moi, rien n'y fera, je ne veux pas croire que ce qu'il y a entre eux soit vraiment sérieux. Déjà parce que Terrence Fern est un primate parmi tant d'autres, qui prend les filles et qui les jette ensuite (pourquoi est-il encore avec Will, dans ce cas ? Je dirais qu'il n'a pas encore réussi à la "prendre" - beurk - et qu'il doit aimer ce genre de défils à la con), ensuite parce qu'ils n'ont rien en commun. Bon, ce ne sont pas mes affaires, mais tout comme je cherche à protéger Glynnis constamment, je veux réussir à protéger Will, aussi.

Donc, si Terrence a décidé d'envoyer balader Glynnis, ce n'est semble-t-il pas parce qu'il n'a pas trouvé Glynnis à son goût (en même temps, encore heureux, il faudrait être aveugle pour ne pas l'apprécier, c'est objectivement une très belle femme), mais apparemment pas non plus par esprit de vengeance, parce qu'il n'était pas d'humeur ou parce qu'une autre fille l'attendait déjà. Non, selon les dires du jeune homme, il y avait une fille dans sa vie, maintenant, et donc, il avait tout à coup décidé de s'engager dans une vraie relation... Je prends cette information avec des pincettes. Je n'y crois pas une seule seconde. Bon, d'accord, je l'avoue, je n'ai pas envie d'y croire.

J'aime les histoires de rédemption, pourtant... mais je ne peux pas m'empêcher d'être sceptique, et j'ai du mal à imaginer que Terrence ait vraiment tout à coup envie de se ranger et ait choisi de ranger son démon de minit dans sa braguette pour ne se concentrer que sur une seule et unique fille, qui serait donc Will. Merlin, j'espère au moins que s'il a parlé d'une fille, c'est effectivement Will. Ou bien je devrais espérer le contraire pour qu'il s'éloigne au possible d'elle ? Ici et maintenant, je l'ignore totalement, je serais bien incapable de le dire. Will est tombée amoureuse de lui, elle ne me le dit pas comme tel, mais je sais que c'est le cas. Et moi, je refuse de la voir souffrir parce que le gars ne serait pas sincère. Cela dit, cette nouvelle information lâche un dute dans mon esprit que j'aurais bien voulu m'épargner. Je ne sais plus du tout quoi penser, du coup.

-Mouais..., je réponds en affichant l'air le plus sceptique que j'ai dans ma panoplie. Je crois pas qu'on puisse changer un mec comme lui. Il finira par te revoir la queue entre les jambes. C'est le cas de le dire. Et à ce moment-là, j'espère bien que tu l'enverras balader comme il le mérite.

Je ne suis pas juste dans mon raisonnement, je devrais plutôt accorder le bénéfice du doute et une seconde chance à Fern, mais c'est plus fort que moi. Il lui faudra faire beaucoup, beaucoup d'efforts pour me convaincre de sa bonne foi.