« Je manquais cruellement de concurrence, ça tombe bien. »

Pomona appréciait d'entendre un fond de vérité dans les propos de Seth quand ce dernier lui disait qu'il manquait de concurrence. Ce pourrait être un mensonge éhonté dans le seul but de la mettre en valeur, mais Pomona savait que ce n'était pas le cas, tout comme elle savait qu'il faisait peu de cas de ses collègues en règle générale et qu'il se considérait au-dessus de la mêlée.

Un tel trait de caractère devrait peut-être la rebuter comme ce serait le cas pour d'autres, mais la jeune femme ne l'envisageait pas ainsi. Au contraire, elle appréciait grandement la sincérité de Seth, qui ne faisait pas mine de se dévaloriser et préférait faire valoir ce qu'il pensait vraiment être et était sans doute.

Pomona, en ce qui la concernait, n'aimait pas la modestie. Certains y voyaient une qualité, ce n'était pas le cas, elle y voyait surtout une forme plus subtile et donc plus insidieuse d'hypocrisie, et c'était bien pire que la vantardise, surtout quand elle se fondait sur des atouts réels.

Et puis, le discours de Seth ne la dévalorisait pas, elle, alors elle savait difficilement y être insensible. Cela n'avait rien de bien flatteur pour les autres Aurors du bureau, et elle était convaincue que nombre d'entre eux valaient plus qu'elle de par leur expérience, mais elle aimait quand même pensé qu'elle y avait gagné sa place plus efficacement que de nombreux autres, et elle aimait encore plus que Seth lui reconnaisse cela.

« Il était temps que ça arrive, je commençais à m’ennuyer. »

Et un nouveau sourire sur le visage de Pomona. Ce finirait presque par devenir trop commun, mais il lui était difficile de ne pas sourire en présence de Seth, surtout à mesure qu'il la mettait un peu plus à l'aise, et qu'elle voyait naître entre eux une forme de complicité qui ne démentait pas l'attirance que, naturellement, elle avait eue pour lui.

Elle espérait bien maintenant être quand même à la hauteur du challenge qui se présentait à elle. Elle aimait les défis, mais elle devait reconnaître que ne pas perdre l'estime que Seth Beresford semblait avoir pour elle lui demanderait une application toute singulière. Mais elle s'appliquait dans tout ce qu'elle faisait, en même temps. Le faire dans une relation... sentimentale (oui Pomona, c'est ce qu'on dit, sentimentale), c'était assez inédit, par contre.

"Je regretterai que tu t'ennuies encore." répondit-elle avant de s'approcher de lui et de l'embrasser.

Il était plus simple de comprendre l'intérêt (jusqu'alors assez obscur aux yeux de Pomona) d'un baiser quand c'était sur les lèvres de Seth que les siennes se déposaient.

"Je..." Elle s'était à peine éloignée de lui et ne croyait pas forcément aux mots qu'elle prononçait, mais une sorte de mécanisme de défense s'était enclenché malgré elle. "Il se fait tard, je ferais bien d'y aller."

« C’est sans doute le plus raisonnable oui. »

Raisonnable, c'est certain, et c'est bien pour cela que Pomona avait agi et parlé de la sorte. Parce qu'elle avait toujours été fondamentalement raisonnable. Elle mettait généralement son cœur en sourdine et écoutait plutôt son cerveau, ce qui était en général plutôt simple, puisqu'elle ne pensait pas son cœur capable de battre pour qui que ce soit.

Mais maintenant, elle savait que ça avait changé, qu'en elle, tout avait changé. Elle n'avait pas besoin de grand-chose pour le comprendre, il suffisait qu'elle prête l'oreille aux battements de son cœur, et il n'avait jamais cogné si fort contre sa poitrine qu'en cet instant.

Elle n'avait jamais tant eu l'envie, de toute sa vie, de faire un pied-de-nez à la raison pour être à l'écoute de ses sentiments et de ses seuls sentiments... Mais elle n'était pas sûre que les écouter, s'y abandonner, allait vraiment lui être utile, allait vraiment lui servir... Elle n'avait pas envie de précipiter les étapes, elle voulait prendre son temps, ce qui n'était pas forcément l'avis de certaines parts d'elles, celles qui exigeaient presque impérieusement qu'elle reste avec lui, qu'elle oublie ses résolutions et écoute une envie apparemment partagée.

« Même si j’avoue que je n’ai aucune envie de te laisser partir. »

Cette réponse fit sourire Pomona. Elle aimait entendre ces simples mots. Elle sentait bien qu'elle accordait déjà beaucoup d'importance à ce qui venait de se passer, elle n'apprécierait pas découvrir que c'était à sens unique, que Seth s'en moquait, lui, même, qu'il avait pour habitude de séduire toutes ses influençables stagiaires (et elle avait tout sauf envie de pouvoir être qualifiée d'influençable stagiaire).

Elle n'avait pas envie qu'il la laisse partir, et quand il posa de nouveau ses lèvres sur les siennes, ce fut plus difficile encore pour elle d'en rester à ses résolutions premières.

Mais non, il fallait qu'elle y aille, ça valait mieux. Parfois, il fallait savoir faire la différence entre ses désirs et sa raison. Et, elle serait donc raisonnable, pour cette fois. Les choses viendraient chacune en leur temps, ce n'était pas comme si ne pas rester avec lui ce soir signifiait qu'elle ne le reverrait pas demain. C'était en tout cas comme ça qu'elle voyait les choses.

"Il faut vraiment que j'y aille", dit-elle alors quand leurs lèvres se séparèrent l'une de l'autre et que son souffle se déposa sur les siennes. Non, elle n'avait pas d'obligation, mais oui, elle allait y aller quand même. "On se revoit demain."

Forcément, ils se reverraient, puisque dans tous les cas, ils travaillaient ensemble, et demain serait un grand jour, puisqu'ils pourraient définitivement conclure l'affaire qu'ils avaient élucidé ce soir. Mais ce n'était pas vraiment pour le travail qu'elle disait ça. Juste parce qu'elle avait envie de le revoir comme ça, dans des circonstances équivalentes.

Sans rien ajouter de plus, elle se décida donc à prendre congé de Seth.