Sa rencontre avec Armando Dippet avait été ce que le peut appeler un succès. Il lui mangeait pratiquement dans la main. Mais ça, Anya n'en avait jamais douté. Elle était sûre d'elle et de son charme. Sauf que maintenant, elle avait une soirée de charité à organiser. Oh elle était confiante. Elle avait l'habitude. Et c'était bien souvent amusant. Décorer les lieux, prévoir les menus, faire les lettres d'invitation. Tout ceci était du travail, mais cela ne faisait rien. Et puis, cette fois, elle ne serait pas seule. Non, cette fois, puisque le directeur était devenu si facilement conciliant, elle comptait bien en profiter pour lui demander une petite faveur.

Même si cela ne se voyait pas tant que cela, c'était toujours un plaisir pour elle de revoir son fils. Anya avait toujours tout fait pour le rendre indépendant et responsable, mais elle l'aimait quand même. Et elle se félicitait toujours de ne pas le voir ressembler à son père. Ce pauvre type ne méritait pas même d'avoir un enfant à son image. Alors oui, il lui arrivait d'être fière de lui. Malgré le fait qu'elle ne lui disait pas souvent. Elle lui disait être contente de ses résultats ou de certaines de ses actions, mais rien de plus.

Comme toujours, elle avait envoyé quelqu'un d'autre le chercher. Il lui arrivait de le faire, mais en général Anya préférait rester chez elle à l'attendre. Andreï ne pourrait rester qu'un week-end, mais c'était déjà bien. Et la soirée à organiser n'était qu'un banal prétexte finalement. Elle avait juste envie de le voir et de faire quelque chose avec lui. De cette façon, ils pourraient parler un peu. Du moins, elle l'espérait.

Dès qu'un bruit annonça l'arrivée du jeune homme, sa mère lâcha tout ce qu'elle était en train de faire pour descendre à sa rencontre. Le sourire jusqu'aux oreilles, elle s'avançait vers lui.

-Andreï, серце моє.

Oui, Anya trouvait cette expression bien meilleur en ukrainien. Elle trouvait que dire "mon cœur" en anglais était barbare pour désigner son fils. Fils qu'elle gratifia d'un baiser sur le front avant de brièvement le prendre dans ses bras. Elle n'était pas de ces femmes qui montrent leur amour en public. Mais ils étaient seuls et elle ne l'avait pas revu depuis la rentrée. Elle pouvait bien lui faire un accueil chaleureux.

Anya Armyanski aimait vraiment son fils. Il était certainement le seul homme qu'elle pourrait dire aimer sans mentir. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'il était toute sa vie. Mais il était la personne la plus importante à ses yeux. Et ça, elle ne le nierait jamais. Mais depuis quelques temps, son garçon était différent. Il avait l'air plus distant. Elle n'avait pourtant pas changé ses habitudes avec Andreï. Ses gestes, ses mots, tout était comme d'habitude. Que fallait-il qu'elle fasse pour me comprendre? C'était difficile depuis la mort de son second mari. Elle pouvait le comprendre, mais Anya avait pris soin de toujours le surveiller et de prendre le temps de rester près de lui dans les pires moments. Et il y en avait eut. Il fallait le voir le jour du mariage avec le troisième. La suite avait été pire encore. Andreï n'avait jamais accepté cet homme qui arrivait après ce qui avait été un père de substitution. Cela n'avait jamais dérangé sa mère, mais elle n'avait donc pas imaginé que sa mort ferait un tel effet au jeune homme. Mais cet événement n'avait fait que l'achever. Cependant, jamais il n'avait agit ainsi avec elle. Habituellement, il restait proche de sa mère, il appréciait les petits moments passés avec elle. Sauf que maintenant, c'était différent. Et pas moyens de savoir pourquoi. Anya n'utiliserait pas non plus la magie sur lui pour le savoir. Elle avait des principes.

-Salut мама. Pourquoi est-ce que tu voulais que je vienne ?

Andreï l'avait pour ainsi dire repoussée. Il était définitivement bizarre. Et puis, il y avait ce ton qu'il utilisait. Anya ne le comprenait plus. Un peu surprise, elle se recula, le regard interrogateur. Que Voulait-il dire? Elle lui avait donné la raison de sa demande dans la lettre qu'elle lui avait envoyé. C'était d'ailleurs le seul but de cette lettre.

-Et bien je voulais que tu viennes un peu me voir мій ангел. Parce que je t'aime et que j'aime quand tu es là. Et je sais que tu peux m'aider. Pourquoi? Cela ne te plait pas de venir?

Elle ne comprenait plus son enfant. Elle n'arrivait pas à savoir ce qu'il avait en tête. Pourquoi tant de distance? Mais elle ne lâcherait rien. Anya retrouverait son fils d'une manière ou d'une autre, même si elle devait le garder à la maison pendant tout le reste de l'année. Elle aurait au moins des explications. Il ne pouvait pas la laisser dans un flou pareil. Andreï ne pourrait pas volontairement garder sa mère loin de ses pensées indéfiniment. Si il avait quelque chose à dire, il devrait le faire. Autrement leur relation n'avancerait pas et ils finiraient par se perdre. C'était tout simplement insupportable pour Anya. Elle ne voulait pas le garder pour elle, loin de là, mais tout de même. La belle voulut savoir, sans attendre plus longtemps. Passant doucement sa main dans les cheveux de son fils, elle lui parlait doucement et la voix pleine d'incompréhensions.

-Andreï, qu'est-ce qui ne va pas? J'ai l'impression de ne plus te connaître.

Elle le savait, elle le sentait. Son fils était différent. Il avait l'air de ne plus être le même garçon qu'il y a quelques mois. Qu'avait-il put se passer? Lui qui avait toujours été content de venir vers elle, parfois même de se montrer trop affectueux dans des moments inappropriés. Anya avait parfois été obligée de le repousser pour garder leur dignité et leur réputation. Mais maintenant, c'était elle qui avait besoin de lui et de cette proximité qu'il lui réclamait autrefois. Elle le savait torturé depuis la mort de son second mari, mais pas à ce point. Elle était justement devenue une béquille pour lui. Le seul point stable de sa vie. Sa bouée de sauvetage. S'en plaindre ne lui serait pas venu à l'idée. Il lui arrivait de ne pas répondre totalement à ses attentes, mais jamais elle ne l'avait laissé en plan sans rien dire ou faire. Aujourd'hui, elle était perdue.
C'était son fils, son enfant unique, qui la tenait à distance. Il évitait même son regard. Elle qui si exceptionnellement savait être douce avec lui. Anya voulait vraiment lui montrer toute son affection. Il était le seul avec qui elle pouvait faire ça sans aucun regret d'aucune sorte.

-Мама... Il... il y a une question qu'il faut que je te pose...

Il marquait une petite pose qui effrayait un peu Anya. Qu'avait-il donc à lui demander de si gênant? Elle était sa mère. Elle était donc par définition prête à tout entendre. C'était du moins ce qu'elle pensait. Jamais elle n'aurait imaginé quel était le mal qui rongeait Andreï. Elle qui avait pris tant de précautions.

-J'aimerais savoir... J'aimerais que tu m'expliques comment mon père est mort.

Son père... cet abruti qu'elle avait été obligée de supporter pendant six longues années. Le seul qu'elle n'avait pas choisi. Son premier meurtre. Celui qui avait été les père d'Andreï n'avait jamais sut qu'il le serait. Oui, Andreï était un accident. Mais jamais Anya ne l'avait laissé pour autant. Elle s'y était faite et avait fait de son mieux pour qu'il ne manque de rien. Lui accordant presque tout ce qu'il voulait, essayant au maximum de lui faire découvrir pleins de choses, acceptant de lui montrer et de lui parler de son géniteur. Et pourtant elle détestait ça. Mais si il voulait savoir, c'était son droit. Et puis, elle était censée avoir été effondrée à sa mort. Elle était tout de même veuve... trois fois. Mais ce type, le premier, il avait été le pire. Pas parce qu'il avait été particulièrement désagréable. Mais simplement parce qu'elle était plus jeune et que tout cela l’atteignait beaucoup plus.
Mal à l'aise aussi bien dans son rôle que dans la réalité, Anya passa sa main sur sa gorge, se sentant tout simplement étranglée dans sa peur de franchise.

-Andreï je... tu sais que...

Anya devait se résigner, elle n'y échapperait pas. Elle soupira, prise au piège. À genoux, prenant son fils par les épaules, le regard triste, elle lui répondrait comme elle l'avait déjà fait auprès de tout le monde à l'époque du drame.

-Chéri, tu sais ce qui s'est passé. Et... même si moi-même je ne connais pas les détails, et ne chercherait pas à les connaître... il n'est plus là et l'a décidé. Il m'a laissé toute seule et je n'ai rien vu venir.

Le regard larmoyant qu'elle portait était l'un des plus rodés. Anya l'avait tellement utilisé. D'ailleurs, la plupart des gens la connaissaient avec ce regard. Cette tristesse perpétuelle qui semblait ne pas vouloir la laisser. C'était ce qu'elle voulait offrir à son fils jusqu'au jour où il serait prêt à la rejoindre.

-Cet homme s'est donné la mort sans penser une seule seconde à ce que cela me ferait de le trouver ainsi. Une fois de plus il n'a pensé qu'à lui. Tu ne dois pas penser à lui et tenir compte de ce qu'il aurait peut-être pensé. Il ne te connais pas et n'a pas même imaginé ta venue. Moi je te connais Andreï. Tu sais que je t'aime et que je suis là pour toi.

Anya se redressa et le pris dans ses bras. Elle espérait que ses mots parviendraient à l'apaiser, qu'il réussirait à revenir vers elle. Mais c'était peut-être impossible après tout...

Si Anya avait été plongée dans le doutes quelques secondes, elle avait pensé pouvoir se rattraper. Cette histoire elle la connaissait par cœur. Elle avait été racontée de très nombreuses fois, avait fait le tour des journaux anglais et même ukrainiens. La belle savait quoi dire au bon moment, quels détails pouvaient faire la différence. Et elle connaissait son fils. Du moins, elle le croyait. Dans la pratique, elle était très loin de se douter qu'il la soupçonnait d'avoir tué ses maris les uns après les autres. Et pourtant. C'était bien là tout le problème. Andreï n'était pas idiot et avait fini par avoir des doutes. Il était d'ailleurs assez impressionnant de voir qu'elle l'avait tenu dans l'ignorance autant de temps.
Ce rôle était celui qui lui allait le mieux. Elle le portait depuis si longtemps que la voir autrement devenait compliqué. Mais c'était pourtant bien un masque qu'elle ne faisait qu'enlever et remettre au bons moments. Seize années de manipulation n'avaient pas suffis à endormir la crainte d'Andreï. Si elle s'était tenue tranquille jusque là, ce jour marquait celui où cette crainte se faisait la plus forte dans son cœur. Et plus elle montait, plus celle de la mère suivait le mouvement. Sa question n'était bien entendu pas seulement celle que le petit garçon avait si souvent posé à sa pauvre mère effondrée. Elle avait un but bien précis que la belle avait refusé de voir tout de suite.
Anya le serrait gentiment dans ses bras, voulant le calmer et le rassurer comme avant. Pour elle aussi ce geste avait des vertus multiples. Elle se sentait bien lorsqu'elle le gardait ainsi contre elle. Mais le jeune garçon la repoussa avec une violence qu'elle ne lui connaissait pas. Pas avec elle, pas avec sa chère mère. Elle ne le comprenait pas. Penchant un peu la tête et fronçant les sourcils, Anya ne savait plus quoi penser.

-Et les autres ?

Cette fois, il n'y avait plus de questions à se poser. Andreï avait certainement plus que des doutes quand à ces morts suspectes. La déception envahit la belle qui voyait déjà son garçon la repousser à la moindre occasion. Elle n'avait jamais pensé le garder dans l'ignorance toute sa vie, mais c'était trop tôt. La seule chose que cela risquait de faire était de les séparer. Si cela devait arriver, elle aurait du mal à s'en remettre. Si il devait lui en vouloir pour ça, elle aurait voulut en choisir le moment. Mais maintenant, cette année, ce jour, c'était beaucoup trop tôt. Ils avaient encore besoin l'un de l'autre. Et il était déjà si froid et distant.
Mais si il savait ou croyait savoir, il n'y avait plus besoin de la veuve seule et malheureuse. Reprenant bien plus sûre d'elle et qui lui ressemblait bien plus que cette pauvre femme perdue, Anya rassemblait tout son courage pour affronter son enfant. Lui mentir encore alors qu'il savait déjà presque tout n'arrangerait rien. Même elle le savait.

-Et bien va jusqu'au bout. Dis-le. Ose réellement m'accuser.

Le visage bien plus neutre, ne laissant passer qu'une pointe d'agacement, Anya était différente. Mais sa colère n'allait pas directement à son fils. Non, lui n'avait rien fait de mal. C'était elle qu'elle trouvait insupportable. Elle n'avait pas fait assez attention. Il lui était arrivé de jouer la comédie devant lui et des rumeurs circulaient déjà au sujet de ces disparitions tragiques. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle. Comme elle aimerait qu'il décide finalement de repartir en arrière et d'oublier ces doutes qui le perturbaient. Anya le serrerait de nouveau dans ses bras et tout irait mieux. Elle aimait son fils et savait que cela ne serait pas aussi simple. Mais cela ne l'empêchait pas d'espérer le plus fort du monde.

Si elle avait effectivement changé d'attitude et de visage, c'était dans l'espoir que cela dissuaderait Andreï de continuer. Anya ne voulait pas du tout perdre cette relation qu'elle avait avec son enfant. Et en cet instant, elle était tellement dure avec lui. Cela ne lui allait pas. Les seule fois où il lui était arrivé de le faire, c'était lorsqu'il avait fait une bêtise. Mais cette fois il n'y était pour rien. Et elle n'aimait pas le regarder ainsi. Mais pourtant, la belle n'avait pas trouvé mieux. Pitoyable.
Tant que son fils n'avait rien dit, elle continuait à espérer qu'il ne le fasse jamais. Elle se voyait une fois de plus le prendre contre elle et le rassurer. Lui redire encore et encore qu'elle l'aimait. Elle aurait voulu être capable d'effacer ses pensées qui lui faisaient du mal. Mais elle s'était interdit d'utiliser la magie sur lui. C'était barbare et inutile. Et elle s'en voudrait tout le reste de sa vie.

-D'accord, je vais être direct. Est-ce que tu as tué mon père. Est-ce que tu as tué mes pères ?

C'était fini. Son petit garçon l'accusait directement. Non sans difficulté d’ailleurs, mais tout de même. Ceci dit c'était rassurant. Il l'aimait encore assez pour ne pas lui balancer ça froidement en pleine figure. Mais c'était tout de même un coup dur. Très dur même. Maintenant la belle aurait bien du mal à le récupérer. Si c'était encore possible. Et rien n'était moins sûr à ce moment.
Perdant toute assurance pour la première fois de sa vie, Anya ne vivait plus qu'une immense déception. Malgré tout ses efforts, elle ne pouvait pas se résoudre à tenir tête à Andreï comme à n'importe qui d'autre. Tout simplement parce qu'il n'était pas comme les autres. Il était son petit ange. Enfin, avant cette question fatale. Pourquoi fallait-il qu'elle ait franchi ces petites lèvres? Elle avait connu d'autres de ses colères. Mais là c'était bien plus compliqué. Anya ne savait pas du tout quoi lui répondre. Elle ne pouvait et ne voulait plus lui mentir. Plus maintenant qu'elle savait ce qui se passait dans sa petite tête triste.

-C'est ce que tu veux savoir? Tu veux vraiment le savoir? D'accord. Oui. Oui c'était moi.

Voilà qui était dit. Et pourtant, c'était tellement dur. Anya ne put s'empêcher de souffler un peu, étrangement soulagée. Il était certain que cela lui enlevait un sacré poids des épaules. Ce que cela faisait du bien.
La belle s'attendait à recevoir les foudres de son fils. Elle s'attendait à ce qu'il doute de tout. Mais il y avait une chose qu'elle voulait ajouter avant. Une chose qu'elle pensait bien être la plus importante à dire et à retenir. Ce détail qui ferait peut-être toute la différence.

-Maintenant... quoi que tu décide... je veux que tu garde en tête que je t'aime et que tu restera toujours la personne la plus importante à mes yeux.

Pour la première fois depuis longtemps, dire tout ça l'avait ému. Oui, cette fois Anya baissait suffisamment sa garde pour perdre le contrôle. Mais maintenant, devant son fils, elle n'avait plus rien à cacher. Il était la seule personne à qui elle faisait encore confiance pour ne plus se cacher. Mais il ne fallait pas se leurrer pour autant. Il risquait de ne plus jamais la laisser l'approcher. Cela la briserait certainement, mais elle voulait être sûre. Elle ne voulait pas se faire des idées avant de savoir ce qu'il pensait. Peut-être aurait-elle suffisamment de chance pour qu'il n'en tienne pas compte. Peut-être pourrait-il passer outre ses actions toutes plus mauvaises les unes que les autres.
Définitivement mal, Anya sentit le premières larmes perler le long de ses joues. Elle s'empressa de les essuyer. Mais elle voyait bien que cela ne servait à rien, elle tourna le dos à son fils et s'empressa de remonter les marches jusqu'à son bureau. Là elle pris quelques secondes pour essayer de se reprendre. Mais ça lui faisait tellement mal...

Seize années de précautions et d'affection venaient de voler en éclats. Et que ce soit la mère ou le fils, ils étaient aussi coupable l'un que l'autre. Anya n'avait pas été aussi prudente qu'elle aurait due et lui avait cherché ces réponses douloureuses. Mais elle ne lui en voulait pas. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Au fond, il avait le droit de savoir cette vérité. Alors elle n'avait pas lutté outre mesure, sachant parfaitement que cela ne servirait pas à grand chose. Sans compter que finalement elle préférait qu'il soit mis au courant. La nouvelle avait beaucoup de mal à passer (ce qui était logique) mais l'abcès était crevé. Maintenant, il pourrait les séparer définitivement ou les rendre plus proches que jamais. Cette attente était insupportable.
Andreï l'avait retrouvé dans le bureau, la laissant dans le doute de savoir si cela était une bonne chose ou pas...

-Pourquoi est-ce que je te croirais, hein ? Qui me dis que tu ne joues pas la comédie, de nouveau ? Il n'y a pas cinq minutes, tu versais des larmes de crocodile en évoquant le soi-disant de suicide de mon père !

Là il partait trop loin. Il n'avait pas le droit de toucher à cela. Son enfant ne pouvait pas douter ainsi de son amour qu'elle ne lui avait jamais caché. Cette fois, Anya était bel et bien en colère. Surtout très déçue, mais en colère. Comment pouvait-il douter d'une telle chose? C'était le sens même de leur relation. C'était tout simplement choquant pour elle. Pas lui, pas son fils. Il ne pouvait pas penser une chose pareille. Passant momentanément au dessus des ses larmes qui continuaient à rouler sur ses joues, elle se raidit et haussa le ton.

-Tu n'as pas le droit de dire une chose pareille! Je t'ai porté, je t'ai élevé, j'ai pris soin de toi, j'ai toujours tout fait pour que tu ne manque de rien! Je t'aime Andreï et je t'interdit d'en douter! Je peux supporter toutes tes remarques, mais pas ça!

Andreï l'avait certainement poussé jusqu'à ses limites. Mais ne l'avait-elle pas mérité? À force de jouer avec le feu, il fallait bien qu'elle se brûle. C'était inévitable et véritablement douloureux. De lui crier ainsi dessus ne lui plaisait pas. Sauf qu'elle ne pouvait pas non plus le laisser douter de ça. Anya aimait véritablement son fils et ne supportait pas qu'il lui dise le contraire. Qu'il doute de tout le reste si cela lui plaisait, mais pas ça. C'était beaucoup trop fort.
Il n'était visiblement pas très bien avant, mais c'était à son tour de rejoindre sa mère dans ses pleurs. Son fils pleurait aussi et semblait tout aussi énervé. Anya mourrait d'envie de le prendre dans ses bras, de le consoler, de se consoler avec lui. Elle n'aimait pas le voir comme ça, et c'était sa faute...

-Comme tu mens facilement ! Comme tu n'as aucun scrupule ! Je... P...pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi ?

Oui, c'est vrai, elle mentait facilement, depuis des années. La belle ne regrettait pas non plus ses gestes. Mais les raisons étaient complexes. Alors oui, il y avait l'argent. Mais le milieu dans lequel elle évoluait avait aidé et même facilité le travail. Cependant, elle n'avait pas toujours eut le choix. Surtout en ce qui concernait le père d'Andreï. Jamais elle n'aurait épousé cet homme si on lui avait laissé le choix. La première fois avait donc été le résultat d'une pression qu'elle avait estimé trop forte. Le second mariage avait été réclamé par ses parents pour préserver les apparences. Déjà pas mal insensible, elle s'était exécuté sans trop discuter. Et puis lui aussi avait commencé à devenir sérieusement agaçant. Leur couple qui n'était pas vraiment un couple battait de l'aile dès le début. Elle avait tenu huit ans en le laissant s'occuper de son fils alors qu'il lui disait en vouloir un de son sang. Et le second meurtre avait été fait. Le troisième ne devait pas se terminer ainsi. Mais cet homme était aussi intéressé qu'elle et ne s'était jamais entendu avec Andreï. Les remords avaient donc été moins forts encore. Alors maintenant, que devait-elle dire à son enfant? Que serait-il prêt à entendre après ses précédentes révélations? Prise de court et en plein malaise, Anya décida de tout de même tenter quelque chose, essuyant quelques larmes au passage.

-Je... je ne sais pas...

Anya parut soudain plus résignée. Elle n'était pas la seule fautive. Ils l'avaient cherché. C'était elle ou eux. Un divorce dans ce type de familles n'était pas accepté comme cela... et puis, tout à fait honnêtement, c'était bien plus simple.

-Mais tu ne les connaissait pas vraiment. Tu ne sais pas ce qui se passait... je n'ai pas choisi ton père, et les autres...

Elle s'arrêta, effrayée à l'idée qu'il ne prenne mal ses réflexions suivantes. Et elle avait bien raison. Ne pas finir n'était pas malin, mais toujours plus que donner le fond de sa pensée au sujet de ses maris.

Andreï était un bon garçon. Anya restait fière de lui, qu'il ait de bons résultats scolaires et n'ait pas mauvais caractère. Qu'il lui en veuille était autre chose. Mais il avait raison. Anya avait abusé de sa confiance et avait clairement ris trop peu de précautions. Elle lui avait menti des années, elle ne pouvait pas imaginer que cela passerait tout seul. Son fils ne pouvait pas entendre tout cela et simplement lui dire « D'accord, bon, qu'est-ce qu'on mange? ». Il fallait lui laisser le temps d'assimiler tout ça. Et même si après cela il devait la rejeter avec violence, tant pis. Au moins il saurait. Sa mère préférait voir son enfant s'éloigner à cause de la vérité que de l'aimer pour un mensonge. C'était plus correct. Ou disons qu'elle aurait moins de mal à le supporter. Même si ça serait probablement la pire épreuve qu'elle pourrait subir. Mais personne n'avait dit qu'Andreï lui tournerait le dos. Il pouvait encore choisir de rester près d'elle et de continuer à l'accepter. Anya serait toujours prête à prendre soin de lui, quoi qu'il puisse arriver.

Le plus dur restait peut-être à venir. Le belle se doutait bien que sa réponse ne lui suffirait pas. Mais si il lui demandait de se justifier. Sa réaction avait toujours été démesurée. La raison de ses mariage avait toujours été l'argent, c'est vrai. Mais les morts, c'était autre chose. Et c'était pourtant toujours pareil. Elle vivait et supportait ses maris. Quand leurs reproches devenaient trop fréquentes, ils marquaient la fin de leurs misérables vies. Le plus simple avait certainement le dernier. Lui avait pensé lui faire subir la même chose. Anya avait déjà une petite fortune à l'époque et il avait pensé en profiter. Elle avait réussit à le manipuler et avait gagné la bataille. C'était simple. Il voulait de l'argent et un héritier. Elle avait toujours refusé de lui en donner et il s'était montré patient. Un peu trop visiblement. Il lui avait laissé le temps de le tuer la première.

-D'accord, je ne sais pas, eh bien explique moi !

Le dernier donc, c'était simple à expliquer. Le premier... c'était justement le premier. Il était plus vieux qu'elle d'un peu trop d'années, il vivait à l'étranger et elle avait été obligée de le suivre, il s'y était mal pris dès le début, elle avait été mal conseillée, et on savait comment ça s'était fini. Mais le plus dur avait été le deuxième. Non seulement parce qu'elle venait de passer l'épreuve du premier, mais aussi parce qu'il y avait Andreï. Il l'avait toujours apprécié parce qu'il s'était occupé de lui. Chose qu'Anya avait toujours un peu de mal à apprécier. Ce type n'était pas son père. Il n'avait pas à le faire. Elle l'aurait très bien fait toute seule. Mais elle n'avait rien dit parce qu'en attendant il la laissait un peu tranquille avec ce fils biologique qu'il voulait tout de même. Que les gens étaient difficiles.
Anya resta silencieuse quelques instants. Qu'allait-elle lui dire maintenant? Elle esquissa un mouvement vers ses mains, voulant les tenir dans les siennes pour lui parler. Mais elle se ravisa de peur d'être repoussée. Elle préférait s'en priver d'elle-même.

-C'était un peu toujours pareil. Je... je ne les ai jamais aimé. Et je n'aimais pas qu'ils me touchent. Mais comme tout les hommes de leur classe, il leur fallait un enfant, un fils. Alors quand ils devenaient trop pressants...

Anya dévia son regard. Même si en général l'amour purement charnel n'était pas un problème pour elle, la belle n'accordait pas ses faveurs à n'importe qui. Et eux, c'était un peu n'importe qui. De idiots, tous, tout les trois. Alors non, elle n'aimait pas quand ils lui passaient dessus. C'était pourtant une obligation en tant qu'épouse.

La raison donnée par Anya était fausse, mais pas que. Disons incomplète. Pourtant elle avait espéré que ça suffirait. C'est vrai, ça aurait due suffire. La savoir aussi bonne actrice et manipulatrice aurait due suffire à combler le vide qui lui manquait. Mais non, ce n'était pas assez et elle devrait aller plus loin. Nous avions donc l'argent, les devoirs conjugaux trop lourds, que rajouter. Il y avait tellement de raisons. Pas toujours logiques et encore moins respectables, mais si nombreuses. La plus simple cependant était que cette femme était incapable d'aimer. Une autre personne que son fils disons. Parce que pour lui, il n'y avait aucun problème. Andreï prenait largement toute la place que ce cœur froid avait à offrir. Le reste, c'était secondaire.

-Mais bien sûr ! Personne ne t'as forcé à les épouser, tes derniers maris, que je sache. Aies au moins le courage de l'admettre, maintenant ! Dis le que c'était uniquement pour leur fric !

Et ce soupir, c'était déchirant. Quelle horreur. Et pourtant elle devrait encore lui répondre. Quand ce supplice prendrait-il fin? Quand se déciderait-il enfin d'arrêter tout ça? Anya ne le savait pas et cela lui faisait peur. Il devait au moins avoir un minimum pris en compte ce qu'elle venait de lui dire bon sang! Elle ne pouvait pas lui dire ça sans qu'il ne l'écoute un peu, au moins en partie. Il ne pouvait pas lui faire ça. Andreï était quelqu'un d'intelligent, il devait être capable de la comprendre. Au moins à ce niveau-là. Un peu déçue qu'il ne la voie que comme une femme cupide (ce qu'elle était, mais pas que), Anya parut vexée pour lui répondre.

-Pas uniquement, non. Pour l'image Andreï, pour l'image. Et ce n'est pas pour moi qu'elle comptait le plus. Ce qui t'expliquera au passage pourquoi je ne t'ai jamais laissé très longtemps avec tes grands-parents...

La belle avait toujours eut de petits soucis avec ses parents. Comme toutes les filles me direz-vous. C'est vrai. Mais dans son cas, c'était parce qu'ils la voyaient mariée et elle non. Anya estimait que c'était tout de même assez important comme raison. Et du coup, quitte à être mariée autant que ça serve à quelque chose... comme récupérer un peu d'argent par exemple...
Cette mère n'avait pas pensé une seule seconde que son enfant pourrait imaginé qu'il était la cause de la mort de son père. Ce qui était parfaitement faux. Anya ne savait même pas qu'elle était enceinte lorsqu'elle avait mis fin à la vie de cet homme. L'apprendre lui avait d'ailleurs fait un sacré choc. Et je ne vous cache pas qu'elle avait pensé à tout un tas de solutions pour se débarrasser de cette chose pendant que c'était encore faisable. Mais plus le temps passait, plus elle avait du mal à se décider. Et puis elle avait gardé ce bébé et ne l'avait jamais regretté... enfin, jusqu'à aujourd'hui où Anya ne récoltait que ce qu'elle avait semé.

- C'est à cause de moi que mon père est mort, alors ?

Alors là, certainement pas. Son petit garçon n'avait rien à voir avec la mort de ce crétin. Surtout dans l'optique où il n'était pas encore existant dans l'esprit de ses parents au moment des faits. Le pauvre garçon ne devait pas garder cette idée en tête plus longtemps. Laissant de côté ses peurs précédentes, Anya pris un air sincèrement désolé et saisit doucement son enfant par les épaules.

-Non chéri, non. Tu n'as rien à voir avec ça. Je n'ai appris que j'étais enceinte qu'une semaine plus tard, d'accord? Je ne veux pas que tu pense que c'est de ta faute мій ангел.

Le pauvre chéri se torturait inutilement l'esprit. Et ils n'avaient pas besoin de cela. Si il devait en vouloir à quelqu'un ça serait à elle et à elle seule. Anya était prête à assumer les décisions futures de son fils, mais pas à le voir rongé de remords qui n'étaient pas le siens.

Une fois ces explications faites, Anya se sentait à la fois soulagée et effondrée. Son fils devait la prendre pour un monstre. Et il n'avait pas tout à fait tord. Mais c'était douloureux. Parce qu'aussi monstrueuse qu'elle pouvait être, elle avait une cœur. Un cœur rempli d'amour pour lui qu'elle ne parvenait plus à lui montrer. Il ne la croyait plus. Il la pensait trop insensible et manipulatrice pour réellement l'aimer. Son enfant ne s'était jamais autant trompé de toute sa vie. Cette mère, aussi indigne qu'elle puisse être, cette mère l'aimait comme personne. Et maintenant plus encore qu'autrefois. Plus elle le sentait partir, plus elle l'aimait et voulait le rattraper, trop consciente de ce qu'elle perdait.

Plus leur conversation passait, plus elle doutait de pouvoir un jour récupérer l'amour de son fils. C'était déchirant. Cette journée devait être une journée agréable. Juste tout les deux, la mère et l'enfant, dans leur univers. Dans ce petit monde qu'ils s'étaient fait et dont ils étaient les maîtres. Anya avait été ravie de pouvoir accueillir son fils aujourd'hui. Mais maintenant, elle voyait cela comme la pire erreur qu'elle n'avait jamais commise. Si la belle n'avait pas demandé à ce qu'Andreï revienne, jamais ils n’auraient eut cette conversation. Ils n'auraient pas douté l'un de l'autre. Cette perspective la faisait se maudire un peu plus encore. C'était de sa faute. Tout ça, depuis le début. Anya en arriva à se dire qu'elle avait peut-être commis une autre erreur en gardant cet enfant. Mais cette pensée ne resta que quelques secondes. C'était trop horrible. Comment pouvait-elle regretter une telle chose? Andreï était son fils et elle ne pouvait pas douter de ce choix comme cela. Elle l'aimait beaucoup trop. Et puis, ils n'avaient pas traversé que de mauvais moments. Ils avaient eut leurs instants de bonheur tout les deux. Et elle ne se doutait pas un instant que ce fils continuait malgré tout à l'aimer. Pour l'ukrainienne, elle avait passé ses limites et ne pourrait plus se faire accepter.  Anya ne douta pas une seconde que les prochaines nuits seraient difficiles. Comment pourrait-elle dormir paisiblement en se sachant détestée par son propre fils? Elle savait qu'elle n'y arriverait pas.

-J'ai... J'ai besoin de temps, d'accord ? Là je... je crois plus en rien. Je te crois plus. J'arriverais plus jamais à te faire confiance, мама.

Ces mots l'avaient fait réagir. Il aurait autant de temps qu'il lui faudrait. Il pouvait douter d'elle autant que c'était nécessaire. Si elle restait dans son esprit sa мама, il pouvait la croire aussi cruelle et coupable qu'il le voulait. Même avec tout ce regret, avec toute cette distance, Anya avait compris son message. Elle savait que son fils continuait à l'aimer. Elle ne lui en voulait pas de ne pas lui sauter des les bras. Tant que ce sentiment restait vivant, il aurait le temps qu'il voulait. Un peu déçue tout de même, elle baissa la tête pour porter le regard vers ses mains.

-Je... je comprends.

Elle n'ajouta rien. Il n'y avait rien à ajouter.

-J'aurais pas dû venir, je savais que ça allait se passer comme ça...

Il savait? Comment ça il savait? Et il était venu quand même? Pourquoi? Il était donc possible qu'il ne soit venu que parce qu'elle le lui avait demandé et que son enfant la craignait. Non, Andreï ne pouvait pas craindre sa mère? Il devait savoir qu'elle ne lui ferait jamais de mal? Et si il restait, c'était peut-être toujours pour la même raison? La plus douce possible, Anya voulut le rassurer et se montrer la plus coopérative possible.

-Tu... tu peux repartir si tu ne veux pas rester. C'est aussi ta maison, pas une prison... et je ne veux pas que tu vienne si tu n'en a pas envie. Je ne veux pas que tu pense que je t'oblige à venir мій скарб.

Anya ne savait pas très bien où se mettre, mais elle refusait de voir son fils douter de sa bonne volonté. Elle était prête à faire des efforts si il voulait bien lui laisser sa chance. Même si elle savait que de nouvelles idées allant à l'encontre de toute forme d'étique et d'humanité viendraient très vite dans son esprit. Il y avait les neo-grindelwaldiens, Dippet, Dumbledore. Autant de raisons qui l'empêcheront d'être réellement irréprochable.